Laissons là nos trois compères.

L'hiver approche et ce lieu semble des plus chatoyant. La montagne tapisse la pièce. Un ruisseau serpente au sol qu'un pont à une arche enjambe. Une pagode carré offre ses quatre côtés ouverture au chant du vent.

Nous allons pouvoir flâner dans cet endroit et profiter des moments présents.

"En flânant, l'hiver."

Yu Hsuan hi, (844/871).

"Rêvant que je suis un papillon, je pars à nouveau

à la recherche des fleurs..."

"En flânant, au printemps."

Yang Wan li, (1127/1206).

"C'était au printemps,

Bientôt une année déjà..."

"En flânant, l'été."

Po Chu yi, (772/846).

"Etre à l'aise,

Que chercher de plus?"

En flânant, l'automne."

Lu Yu, (1125/1210).

"Le matin je regarde les gens partir en ville,

Le soir, je les regarde rentrer."

Il est temps pour nous de retrouver nos trois Lettrés, Li Bai, Tu Fu et Wang Wei.

Mais, où sont-ils?

"Carnet de voyage".

Nous voici dans un jardin lettré. C'est là, dans la pagode "des poèmes lus par le vent", que nous retrouvons nos trois compères.

Les jardins japonais que nous connaissons en France, sont des jardins réalisés pour la méditation ou, "la Voie des Dieux". Le berceau se trouve à Kyoto. Le cours sinueux de la rivière Kamo, évocation du dragon protecteur en est la raison principale. L'une des pièces maîtresses, le Rokuon-ji ou, "Temple du bois des gazelles", enseignement du Bouddha, est universellement connu sous le nom de Kinkaku-ji, "Pavillon d'or".  Nous connaissons moins les jardins lettrés chinois. Pourtant, les édifices implantés à Kyoto le sont dans l'exactitude tradition chinoise de la ville de Chang'an, aujourd'hui appelée Xi'an, la capitale des Tang, (618/907). Les jardins lettrés chinois sont des jardins pour la famille, les ami-e-s, dans lesquelles respirent la culture lettrée.

Dans un jardin lettré, nous retrouvons des pierres "remarquables" représentant la montagne. Ces pierres "remarquables" le sont par leurs couleurs, leurs formes qui inspirent notre imaginaire. Certaines possèdent des trous, pour la respiration.

Les petits cours d'eau, cascades et bassins sont les ruisseaux, rivières et la mer. Si à cette époque, les bassins représantaient la mer, ils avaient également un rôle de "garde manger". Il n'était pas rare d'y pêcher un poisson pour se nourrir.

Le troisième composant sont les végétaux, arbres, fleurs, graminées...

 

 

En premier, voici cette graminée présente dans tous ces jardins, le Bambou.

Toujours vert, le Bambou ne change pas d'aspect dans le cours des saisons. Sa tige est toujours droite, droit dans les paroles et les actes du lettré. La mobilité de ses feuilles représente la capacité à s'adapter au temps, aux aléas de la vie sans pour autant être affecté dans sa moralité. Sa canne est creuse à l'intérieur. Il a la place pour recevoir l'autre. Le Bambou possède un coeur modeste. Il représente l'âge et la droiture.

L'écrit de Su Tung po exprime à merveille la symbollique du Bambou.

 

 Su Tung po, Chine, 1037/1101.

"Si l'on peut faire un repas sans viande, il est impossible de vivre sans Bambou.

Si privé de viande l'homme devient maigre, privé de Bambou, il devient vulgaire.

Si l'homme maigre peut encore grossir, un homme vulgaire est difficile à guérir.

Les gens autour de moi rient de ce propos, est-ce parole sérieuse où bien boutade?

Le jour où face à ces Bambous on osera s'empiffrer,

La grue de Yang-chow ne feéquentera plus ce monde..."


Sur la légendaire grue de Yang-chow, on s'élève au ciel.

Poème calligraphié sur le troisième tableau de Bambou.


 

"L'art de la contemplation".

Outre les Prunus déjà évoqué au début de ce blog, il y a les Pins, Pinus en botanique.

Le Pin symbolise l'immortalité, une puissance vitale. Il est toujours vert, même l'hiver et encore plus vert au printemps. Il est donc 'constant'.

Le tableau de droite me vient d'un poème de

Po Chu yi, Chine, 772/846.

"L'endroit est vraiment tranquille

A l'ombre des Pins

Un lit de six pieds".

 

Dans le tableau suivant, deux vieux Pins, deux immortels passe la nuit enssemble.

Li Bai, Chine, 701/762.

"Pour chasser la tristesse de mille années

Nous nous attardons à boire cent pichets

Cette belle nuit est propice aux propos purs

La Lune lumineuse ne nous laisse pas dormir

Ivres nous nous allongeons sur la montagne vide

Le Ciel pour couverture

La Terre pour oreiller".

 

 

 

Voici un de mes poèmes, c'était écrit dans l'aquarelle.

 

Contre la paroi rocheuse

Fixée par des racines majestueuses

Une silhouette envieuse

 

Inaccessible le Vieux Pin

Suspendu au revers du dos de ma main

Là où rien ne lui appartient

 

Pas même le couple d'oiseaux

Venu se poser sur l'un des rameaux

Le temps d'un instant de repos

 

Par-dessus les brumes son corps

Trois branches vivantes le Vieux Pin se tord

Dans de silencieuses douleurs

 

Mille hivers déjà traversé

Poli lavé dénudé et crevassé

Par les vents pluies neiges et gelées

 

Dans un contre temps du printemps

L'averse se déverse en un coup de vent

Un rameau détaché tombant

 

Au plus haut de l'ombre d'été

Dans l'écho de ce point à son apogée

Les feuilles du Pin assoiffées

 

A l'heure passée des moissons

Sur la lisière de sa frondaison

Teintes d'automne à l'unisson

 

La brume pose son voile

Un temps pour apprivoiser les étoiles

La pudeur du Pin se dévoile

 

Le regard sans but du Vieux Pin

Dans l'azur du ciel au plus profond lointain

De l'éternel il est témoin

 

Dans l'onde diluée du temps

J'ai senti sa sève devenir mon sang

Vertige de l'instant présent.

Laissons pour l'instant notre découverte des jardins lettrés. Passons par la porte de la Lune. Il me semble que c'est à cet endroit que nous pourrons retrouvez LiBai.

"Ah, Maître Li Bai, comment définir la peinture lettrée?"

"Quelle question, pourquoi vouloir définir, cataloguer les choses? Je vois Wang Wei devant sa feuille blanche. Il prend son baton d'encre qu'il frotte sur sa pierre. Rien que le mouvement de sa main préparant son encre indique le rythme de son oeuvre à venir. Arbres et rochers vont se moquer des prétendues lois de la nature.

De son pinceau, montagnes lointaines et nuages sont unis dans leurs formes. Wang Wei pose le sommet hôte, le sommet principal, le plus haut. Il trace ensuite les sommets convives venant à sa rencontre tout en jouant avec les nuages blancs. Pour ne pas avoir des sommets 'flottants', il exprime les eaux et leurs limites. Un pan de montagne rencontre un torrent, une cascade naturelle vient de naître.

Wang Wei place un chemin, l'entrée dans la montagne. Il trace des sentiers et leurs jonctions. Une route effondrée est remplacée par un chemin suspendu. Parois verticales et pics vertigineux n'ont aucun sentier.

Dans un replis de montagne, il construit la cabane du vieux moine. Au creux d'un surplomb, il place un arbre remarquable. Les gens du bord de l'eau construisent leur village. Wang wei plante une poignée d'arbres à côté de ce village, des arbres dont les branches font corps aux troncs. C'est un bois.

Wang Wei pose la longue barque d'un pêcheur rasant l'eau. Il fait tout pour que ciel et eaux mêlent leurs lumières.

Définir la peinture lettrée, l'éveil merveilleux se passe de longs discours. La réalité suprême s'impose d'autant plus qu'elle est inaperçue. La peinture de Wang Wei se conjugue avec le vide, l'absence et la présence..."